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À table !

Juillet 2021 – Français, époux et père, Eric Devautour a longtemps été directeur de la communauté de La Merci, en Charente, avant de prendre sa retraite.
Eric répond pour nous à la question « Ta vie intérieure, comment tu la nourris ? »

Qu’est-ce qui nourrit ma vie intérieure ?

À cette question, je voudrais répondre avec malice, en disant que ce qui nourrit ma vie intérieure, c’est le pain que je mange… Ce serait certes jouer sur l’opposition apparente entre nourriture spirituelle et nourriture du corps. Et pourtant… Il y a en fait bel et bien là une idée à creuser, qui en dit beaucoup sur ma foi et sur mon rapport à Dieu, à la suite de Jésus-Christ.

On ne s’émerveille pas assez du fait que la façon dont Jésus a enseigné aux hommes la nouveauté radicale de son rapport à Dieu et au monde tient principalement à sa manière de s’attabler avec les autres. La religion de son temps, par ses excès (il y en a à chaque époque), avait fait du repas le lieu même de la ségrégation entre les hommes, le lieu même de la distinction entre les purs et les impurs. Jésus, faisant voler en éclats toute cette religiosité dévoyée, s’est attablé avec tous, hommes et femmes, dignitaires et gens de peu, collecteurs d’impôt et prostituées, valides et infirmes… C’est par cette attitude scandaleuse qu’il a pu dire à chacun qu’il était digne d’être son frère ou sa sœur, et de partager le pain avec lui.

Fallait-il que cet aspect de son message fût si important pour qu’il aille jusqu’à suggérer de faire du pain partagé dans le repas eucharistique le signe même de l’appartenance au peuple de frères qu’est le Peuple de Dieu ? Dites-moi avec qui vous vous attablez et je vous dirai de quel Dieu vous êtes les enfants…

L’Arche, en faisant de la vie partagée et du repas pris en commun le centre de son message et le sommet de sa mise en pratique, a bien compris cette révélation audacieuse. Quelle que soit la nature de notre handicap, quelle que soit la forme que prend notre fragilité, nous avons en commun la dignité de nous asseoir à la même table, d’avoir part au même plat, de nous abreuver d’une eau prise à la même cruche. Sans distinction de statut ni de diagnostic médical, sans considération de pureté ou d’impureté, nous pouvons goûter ainsi à la fraternité la plus savoureuse. C’est dans le repas partagé que la spiritualité de L’Arche trouve son expression la plus aboutie, la plus incarnée. Tous ceux qui, venant de l’extérieur, visitent une communauté de L’Arche au moment du déjeuner, en sont immédiatement frappés. Et moi, je me le redis avec conviction à chaque fois que je m’attable avec mes amis de La Merci : Jean-Marie, Christine, et les autres… La spiritualité du repas partagé.

D’une façon générale, ne faut-il pas admettre qu’aucune spiritualité n’est valable si elle n’impacte de façon immédiate notre rapport aux autres ? Qu’aucune spiritualité ne vaut pour mon esprit si elle n’engage également ma chair ?

Le Dieu-Amour est esprit, et nous sommes sa chair. Voilà le grand mystère de l’Incarnation tel que Jésus nous l’a révélé. Etre la chair de Dieu dans ce monde, voilà le grand projet, voilà la grande ambition de l’homme. Que nous exprimions cette vérité en partageant le pain eucharistique à la table du Christ, ou que nous l’exprimions par un déjeuner pris en commun à la table communautaire ou familiale, cela revient profondément au même. Cela revient à dire que toute fraternité doit être continuellement nourrie par le partage du pain.

Dans ma prière, je demande au Seigneur qu’il conduise toujours ma vie intérieure vers sa finalité ultime : fraterniser. Avec les autres, bâtir un royaume de frères et de sœurs, un royaume où il fera bon partager le pain avec tous.

Eric Devautour
L’Arche la Merci (Charente, France)

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