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Une conversation de Noël

Juin 2022 – Informaticien et réalisateur de film, Fabio Bertagnin est laïc consacré dans le Mouvement des Focolari.
Fabio se souvient ici d’une conversation avec une amie musulmane, un soir de Noël, conversation qui l’a transformé
.

Je ne suis pas particulièrement engagé dans le dialogue interreligieux. Pourtant, il y a quelques années, un projet m’a amené à plusieurs reprises en Algérie, et j’y ai noué des amitiés profondes avec des personnes musulmanes. Ainsi, Salim, sa femme Chahida, et leurs trois enfants. J’ai eu l’occasion de loger chez eux, à Oran. Quelques temps après, leur fille Amel arrive à Paris pour ses études. Et un beau jour de fin décembre, j’ai la surprise de la voir débarquer, avec ses parents venus la visiter, à Lyon, chez moi.

Nous voici donc le soir du 24 décembre, fêtant ensemble Noël. Pendant le repas, Amel me demande : « Fabio, comment se fait-il que dans ta maison il n’y a pas de symboles de Noël ? » D’abord surpris, je finis par comprendre : chez moi ce soir-là, pas de sapin décoré ni de Père Noël. Pourtant, bien en vue sur un grand meuble, une belle crèche malgache en bois sculpté illustre la scène de la nativité. « Je ne connais pas cela », me dit Amel. Je leur raconte donc comment la tradition chrétienne fait mémoire de cet événement, et leur présente les différents personnages.

Or, m’apprennent-ils, la tradition musulmane raconte aussi la naissance de Jésus : Marie y enfante seule, dans la plus grande souffrance. De fil en aiguille, nous voici à échanger sur le sens que nos fois respectives donnent à la souffrance.

Certains propos de Chahida, la maman, me gênent : ils me semblent fatalistes, trop résignés face à l’adversité. Pour moi, la souffrance appelle l’action : il n’est pas possible de rester indifférent face à quelqu’un qui souffre, c’est un devoir moral de faire tout son possible pour soulager la douleur et en combattre les causes.

La discussion se poursuit à deux, en faisant la vaisselle. Chahida et moi campons sur nos positions et j’ai l’impression d’être face à un point de divergence non réconciliable : je ressens une déception et un malaise. Je pense à cette femme : médecin, elle affronte la souffrance tous les jours dans son travail. Je sais également qu’en Algérie, elle s’investit dans des associations qui aident les femmes à s’opposer au fatalisme d’une culture souvent trop patriarcale. Chahida est donc bien loin de la résignation, loin de l’indifférence envers ceux qui souffrent. Son témoignage me pousse dans mes retranchements.

En fait, ce qu’elle veut me dire, c’est que dans ce type de situation, il n’y a pas que l’action qui compte, mais aussi la contemplation : quand la réalité des choses nous trouve impuissants face à la souffrance et à l’injustice, c’est des mains de Dieu que nous pouvons recevoir la force de rester debout auprès des victimes de cette souffrance.

Ce moment d’échange inattendu, arrivé comme un cadeau la nuit de Noël, m’a marqué à jamais. La période qui a suivi s’est révélée pour moi très difficile : avec la découverte d’abus commis au sein de mon propre mouvement sont venues au jour de nombreuses souffrances, touchant des personnes qui me sont chères. Et c’est ce moment, cette conversation avec Chahida, qui m’ont préparé à affronter la tempête avec un esprit pacifié : actif, mais sans peur et sans angoisse face à mes limites personnelles, qui sont bien là.

Dans la doctrine chrétienne, la question de la souffrance est abondamment abordée. De nombreux saints et mystiques y ont apporté des réponses fortes. Et pourtant, c’est bien Chahida, que Dieu a mis sur ma route, qui m’a transmis, avec les mots de sa propre foi, un message personnel de Dieu, un message qui m’aide, et m’encourage dans le présent. Dieu est trop grand et trop libre pour se contenter des seuls dogmes que mon intellect a pu apprendre et intégrer.

Pour être véritablement moi-même, j’ai besoin d’amitiés authentiques avec des personnes qui ne me ressemblent pas. C’est vrai dans la vie, c’est vrai au travail, c’est vrai aussi dans l’intimité de ma conscience et de ma relation personnelle avec Dieu. L’amitié avec des personnes musulmanes, j’en suis témoin, m’aide aujourd’hui à devenir un bon chrétien.

Fabio Bertagnin

Pour découvrir l’expérience d’amitié entre des chrétiens et des musulmans que Fabio a découverte en terre algérienne, vous pouvez regarder le film documentaire qu’il en a fait, « Au-delà du dialogue », en cliquant sur le bouton ci-dessous :

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