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Rester perméable

Mars 2021 – Allemande installée aux Etats-Unis et ancienne responsable de la communication pour L’Arche International, Tina Bovermann est aujourd’hui responsable national de L’Arche USA.
Pour nous, Tina répond à la question « Qu’est-ce qui nourrit ta vie intérieure ? »

Quelque part en Arizona, vers la ville de Page, il a fallu plusieurs millions d’années au vent et à l’eau pour sculpter dans le grès les courbes gracieuses et les tons rouges du Antelope Canyon. Quand je pose la main sur les parois ondulées, au cœur de ce joyau intime de Mère Nature, les larmes me viennent aux yeux. À Otavalo, en Equateur, les artisans locaux présentent fièrement leurs tissus sur le marché de Plaza de Los Ponchos. Cette explosion de couleurs et de textures me comble de joie, tout comme l’émerveillement des nombreux touristes présents. En fin de journée, le corps fougueux d’un enfant de six ans vient se blottir contre moi : c’est l’heure de l’histoire du soir. Tenir dans mes bras ce don infiniment précieux qu’est ma fille remplit d’amour toutes les parcelles de mon être. Quelque part dans une petite ville d’Allemagne, les quatre membres d’une famille se retrouvaient le soir pour discuter et débattre autour de la table du dîner, nourrissant âmes et corps. Être de cette famille, c’est là ma source. De l’autre côté de l’océan, aujourd’hui, dans un bâtiment tout simple, octogonal et lumineux, une communauté de fidèles se rassemble. Ils sont assis, ensemble, en silence. Avec eux, écouter « cette part de Dieu en moi » m’apporte la sérénité …

Tout cela, c’est ce qui nourrit ma vie intérieure. Maintenant, la question est « Comment ? » Biologiquement parlant, je suis un simple tas de cellules. Or, les cellules donnent et reçoivent à travers une membrane perméable. Mon âme également. Elle se nourrit de ce monde. Elle cherche à donner à ce monde. Ma vie intérieure est nourrie quand ma peau est perméable, quand ce qui m’entoure traverse l’enveloppe de mon corps et atteint mon être profond. Ma vie intérieure est nourrie quand mon essence intime trouve son chemin à travers les couches de mon être, et réussit à apporter sa contribution au monde extérieur.

Malheureusement – c’est sans doute vrai pour vous aussi – ce n’est pas toujours le cas. Parker Palmer (*) parle de l’âme comme d’un « animal sauvage : dur, résilient, avisé, autosuffisant et pourtant, timide à l’excès. » De fait, mon âme, plus ou moins en sécurité dans mon corps, est d’une telle timidité qu’il m’arrive de perdre le contact avec elle. Vous savez, elle a eu son lot d’aventures, mon âme. La vôtre aussi, certainement. À la fois meurtrie des coups reçus, résiliente et confiante, féroce et intransigeante, laide et belle, mon âme est tout cela. Quand elle est blessée, quand elle a peur, quand elle ne se sent pas en sécurité, elle se ferme, elle s’emmure, elle se fâche et se cache. Souvent, c’est mon corps qui sert d’interprète. Si je suis attentive à lui, je vais remarquer mes muscles tendus, mes articulations raides, ma peau agitée, ma respiration courte, ma voix rauque. Ma vie intérieure n’est ni nourrie, ni nourrissante. La paroi qui sépare ma vie intérieure et extérieure est devenue imperméable.

Alors, comment rester perméable ? Avoir une conversation ferme et entre quatre yeux avec mon corps tendu ou avec mon âme timide s’est avéré une stratégie insuffisante. De nouveau, Parker Palmer me vient en aide : « Si nous avons la volonté d’aller marcher tranquillement dans les bois, et de nous asseoir une heure ou deux au pied d’un arbre, la créature que nous attendons pourrait bien apparaître. » Oui. C’est cela. Si je suis capable de m’asseoir en silence, de l’attendre et de l’espérer avec douceur, patience et honnêteté, mon âme me remerciera en m’apportant lumière et énergie. L’âme et le corps respirent, relâchent, se détendent avec gratitude. « J’ai été entendue », dit l’âme. « J’ai été vu », constate le corps. « En effet. C’est vrai. », puis-je admettre. « Désolée, ça m’a pris du temps. » On se prend dans les bras. Et vraiment, ça vaut le coup, car désormais, rendu perméable, l’on peut partir en exploration. Il y a des mondes, à l’extérieur et au-dedans de moi, à découvrir. Il y a une abondance de choses à sentir, voir, goûter, toucher, entendre. Il y a toute une vie à nourrir, dehors et en moi.

Tina Bovermann,
Atlanta.

(*) Parker J. Palmer est un auteur américain, et le fondateur du Center for Courage & Renewal (www.couragerenewal.org). Il a notamment écrit “Let Your Life Speak”, “The Courage to Teach”, et de nombreux autres ouvrages sur des sujets tels que l’éducation, la communauté, le leadership, et la spiritualité.

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