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Manger, prier, célébrer
Octobre 2021 – Fondateur de L’Arche à Preston (UK) et ancien Responsable de L’Arche UK, John Sargent mène aujourd’hui le « Processus de la Charte » de L’Arche International.
John raconte ici une rencontre qui l’a transformé.
J’avais 21 ans quand j’ai rejoint, pour une durée d’un an, une communauté de L’Arche. Le foyer avait ouvert à peine six mois auparavant, et je rejoignis l’équipe qui y accueillait les personnes avec un handicap, en provenance de l’hôpital local. C’est ainsi que j’aidai à recevoir Brian, venu d’abord pour quelques week-ends, et puis à temps complet. Alors âgé de 19 ans, Brian n’avait connu que l’hôpital, depuis l’âge de 4 ans. Au foyer, je l’aidais à se lever le matin, à prendre son bain, à s’habiller. Je l’aidais avec ses repas, et je poussais son fauteuil, pour le mener à telle ou telle de ses activités de jour. Tout cela était très nouveau pour moi, et j’ai dû, en très peu de temps, beaucoup apprendre ! Jusqu’alors, j’avais passé ma vie à l’école et en étude, j’avais connu les livres et les concepts. Ma valeur se mesurait à l’aune des examens que j’avais passés – et réussis.
Après trois mois dans la communauté, j’ai pu faire une pause d’une semaine à l’extérieur, avant de revenir. À cette occasion, alors que, venant de la station de bus, je traversais un parc en direction du foyer, je vis soudain Brian arriver vers moi, son fauteuil poussé par un autre assistant. Je le saluai de loin : il reconnut ma voix. Au comble de l’excitation, il se mit à secouer les bras et les jambes tout en criant mon nom, de toutes ses forces. Cet accueil extatique agit sur moi comme une révélation. Ce furent une rencontre et un accueil authentiques. J’étais confirmé, j’avais de la valeur simplement en étant « John ».
La vie repris son cours, le quotidien tournant principalement autour des soins personnels et des repas. Le jour de mon 22e anniversaire, nous eûmes un repas de fête au foyer, suivi d’un temps de prière. Durant celle-ci, un assistant se mit à lire l’Evangile de Jean, le passage où Jésus lave les pieds de ses disciples. À ce moment, Brian vint à moi en rampant au sol, un bol d’eau à la main. Arrivé à mon niveau, il commença à me laver les pieds. Il le fit avec une telle gentillesse, une telle attention ! Voici l’homme à qui je donnais un bain tous les matins, en train de donner un bain à mes pieds. J’ai éprouvé, à ce moment, un très fort sentiment de fraternité. Ce fut une rencontre profonde de réciprocité.
Ces expériences, ces rencontres, cet accueil inconditionnel et cette réciprocité, tout cela m’a transformé. La connexion entre Brian et moi m’a permis de voir le monde, ne serait-ce qu’un peu, à travers le regard de Brian. Cette vie partagée avec Brian, même si elle n’a duré qu’une seule année, a ouvert des espaces où nous pouvions nous rencontrer comme des égaux, par-delà nos nombreuses différences. Il s’agissait principalement des temps de repas pris ensemble, des temps de prière vécus ensemble, les temps de fête célébrés ensemble. Autant d’espaces dans lesquels il n’y avait plus celui qui donne le soin et celui qui le reçoit, mais simplement des personnes humaines, des amis.
Après cette année partagée avec Brian, je retournai à mes études, comme prévu. Mais je n’étais plus le même. Et, quelques années après, lorsque je revins à L’Arche, ce fut pour ne plus la quitter. 35 ans plus tard, je sais que cette fidélité, je la dois à ces premières rencontres, à Brian. Et je suis plein de gratitude.
Encore aujourd’hui, je me remémore souvent ces expériences fondatrices quand nous partageons un repas. Quand nous nous réunissons en cercle, pour prier. Enfin, et tout particulièrement, quand nous nous lavons les pieds les uns aux autres. Ces espaces rituels et réguliers rendent présentes, à nouveau, les rencontres fondatrices qui m’ont tellement transformé – c’est ainsi qu’elles continuent de me transformer. Elles me nourrissent.
Merci, Brian !
John Sargent